Un texte de Simone Donpeyre sur mon travail !

Simone Donpeyre,  présidente et directrice artistique de Traverse Vidéo, après avoir programmé « Enterrement de mon rêve de mariée » lors de la dernière édition du festival, a rédigé un texte sur mon travail qui figurera très bientôt sur le livre téléchargeable depuis le site du festival.

Elle m’a fait cadeau de ce texte que je vous offre et je reporte ici en avant-première :

Rossella Piccinno, Enterrement de mon rêve de mariée (France)

boucle sur écran, en vitrine | 20min

De Catulle, le deuxième épithalame, ce type de chant accompagnant les époux à la chambre des noces – le Thalamos – oppose les avis entre garçons et filles sur le mariage. Les garçons tentent de persuader les filles de se marier qui déclarent leur refus. Et même, s’il s’agit d’un jeu de conversation ou rhétorique, cette distinction genrée s’entend, très précocement, puisque le poète vécut de 84-54 avant notre ère.

Au cinéma, la mariée de Truffaut, a été en noir, en 1968, quand vengeresse, elle recherche afin de les éliminer, les cinq hommes qu’elle juge responsables de la mort de son mari, au jour même de leurs noces. La performance a depuis détaché le couple, et la robe de mariée est portée en signe de désaccord de ce que l’on appelle « les liens du mariage » ;  induisant à réfléchir sur le performatif « oui » puisque dire ce « oui » est faire cet engagement. Performer pour revenir sur ce qu’implique ce « oui ».

L’action s’acidifie quand parmi ses mille visages, Cindy Sherman inventa une mariée impudique, mal fagotée en une robe transparente découvrant tant l’aréole des seins que les poils du pubis, sans sourire, regard frontal ; c’était en 1993, elle y revint dix ans après, à la commande d’un magazine new-yorkais sur la mode ; elle y tenait comme un fouet, en guise de bouquet, un arum.

Triste aussi, une des Madame de Ria Pacquée, femme ordinaire, cheveux blonds ondulés, lunettes sages, qui s’introduit parmi la foule dont elle emprunte comportement et type de costumes : elle fait pèlerinage à Lourdes ou carnaval à Cologne en 1989 où elle s’assied, cette fois seule, puisqu’elle emprunte l’attitude de celle que l’on disait faire tapisserie dans les bals, quand la femme devait attendre qu’un homme se décidât/ condescendît à l’inviter : coincée, un peu voûtée, sur un banc dans la rue en robe de mariée avec l’attirail normé : The Girl who was never asked to mary/La fille qui n’a jamais été demandée en mariage.

Rossella Piccinno explique, elle, qu’elle ne s’est pas mariée malgré l’opprobre de ne l’être pas encore à « son âge » alors qu’elle s’en détache, précisément en enterrant la robe désignée comme ce qui a porté un « rêve » imposé par d’autres.

Sur fond de ce lieu aride, aux collines volcaniques, en perspective de ce plan d’ensemble mais très nettement visibilisée par la prise de vue, une jeune femme se démène pelle à la main obéissant au titre. Il s’y opère cet inattendu enfouissement dans la plaine peu herbue que ce titre mi-clair, mi-obscur amorce puisque si le geste est clair, du « rêve » avancé, il faut s’interroger.

En voix over, Rossella Piccinno explicite le quoi, le pourquoi et la nécessité de ce pourquoi, elle venue en tenue canonique blanche, robe ample, décolletée, tête couronnée d’où pend un petit voile, se déshabille, creuse et enfouit robe et accessoires.

En temps quasi réel, la vidéo performative la décrit avec pelle et bêche, ôtant la terre sableuse, pliant les vêtements ainsi déposés dans le trou, jetant la poussière, en saupoudrant à genoux – plan d’elle de dos – jupon qu’elle a aussi enlevé, petits talons, petit bouquet… Les nécessaires efforts et le souffle un peu court attestent de sa réelle et nécessaire action jusqu’à ce qu’elle s’allonge, son corps faisant courbe, en sous-vêtements tout aussi blancs du mariage mais sans fioritures ; ceux simples de la femme n’ayant rien à prouver de sa féminité.

Femme libre, désormais, hors des codes dont elle s’est déliée, elle-même, littéralement en tirant longuement le long ruban de fermeture de la robe, en se défaisant, avec quelques légères contorsions, du corsage, dont elle baisse les épaulettes.

Et elle quitte le champ pour y revenir avec le simple pantalon, le tee-shirt, pull blanc, mules sandalettes… et repart de dos, en contournant de rares broussailles jusqu’à n’être qu’un point en profondeur du champ vers cette route où roulent de rares véhicules.

Le geste est disant, l’implication de soi limpide et une voix narre la décision de n’obéir plus, d’être célibataire à vie en refusant de continuer à être la mariée selon la coutume et son poids. Elle le justifie plus personnellement, en évoquant le caractère incompatible de son mari avec ses aspirations à elle ; elle commente sa prise de conscience d’avoir abandonnée la moitié d’elle-même pour répondre à ce diktat.

Son action est éminemment en « je » ; elle se nomme. La chanson populaire entonnée en italien avec l’accent modulé de la langue source, porte trace de soi, et même si le paysage de l’île de Lanzerote n’est pas sa région de vie, elle y glisse la teneur biographique tout en revenant aux prémisses de la performance. Quand Kaprow entraînait une définition de l’art en actes spontanés, éphémères, en relation avec la quotidienneté, ce qu’il appliqua avec 18 Happenings in 6 parts, en 1959 qui incitaient le public à participer. Dans ce -ing le faire là, le en-train-de, se convoquaient aussi un regard critique sur les comportements sociaux y compris artistiques.  

Rossella Piccinno ne convoque qu’elle même et la caméra ; elle performe seule mais répond au projet d’impliquer sa vie dans son art sans spectaculaire, en gestes simples rejoignant ainsi Kaprow : « La frontière entre l’art et la vie doit rester aussi fluide, aussi indistincte que possible. »

Cependant, elle y adjoint des préoccupations analysées par Judith Butler qu’a développées Gender Trouble, en 1990 – seulement traduit en français en 2004 – qui rapproche l’identité, le genre sexué et la performativité ; ainsi que Simone de Beauvoir avait fait la brèche en proférant qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient. Ce sont les modèles imposés par l’idéologie sous-jacente de distinction voire de supériorité de l’homme de/sur la femme, modèles que le poids social voire les lois contraignent à suivre, qui répétés et répétés finissent par être pensés « naturels ». Le performatif : le faire c’est le faire être. La performance le métaphorise.

Rossella Piccinno le décline en enterrant le costume – l’uniforme –emblématique, du mariage, elle enterre le mariage et s’en libère, en un acte simple mais décisif.

Simone Dompeyre

 >>> L’artiste explique  : « Je ne me suis, heureusement, jamais mariée. Ceci est une geste psycho-magique  – voir Jodorowsky- que j’ai décidé pour archiver le diktat du mariage que je sentais graver sur moi. J’ai décidé d’accomplir cet acte après avoir rompu une histoire d’amour dans laquelle je me projetais vers la création d’un foyer, pour me rendre compte, in fine, que ce n’était pas un rêve proprement à moi mais la pression sociale acquise et devenue manifeste sur le seuil de la quarantaine, quand ma montre biologique a commencé à battre le temps final de ma fertilité. À travers ce geste, j’ai parlé à mon inconscient pour me libérer de cette attente.

Le film est tourné dans le désert de l’île volcanique de Lanzarote, aux Canaries, en Espagne; choisie parce qu’elle compte plus que 300 cratères volcaniques, ce qui la distingue comme île plutonienne selon l’archétype de C.G. Jung et J.Hillman, dès lors vouée au contact avec la psyché profonde et les forces de l’inconscient. 

Pour la petite anecdote, en bonne moderne sorcière, j’ai décidé d’y aller au solstice d’été, pendant les célébrations de la nuit des feux de San Juan, il y avait le pleine lune et j’étais bien évidemment réglée. Très sensible aux énergies telluriques, j’ai souffert de migraine tout au long de tout mon séjour d’une dizaine de jours mais bénéficié aussi d’une activité onirique exacerbée.

L’action se relie à un projet précédent de 2012, réalisé en Islande, sur le trace d’un prophétesse islandaise du XXe siècle, dans un autre désert volcanique et aux pieds d’une autre montagne (https://rossellapiccinno.com/portfolio/sur-les-traces-de-thordis/).